AMIRAL DE BRUNY D'ENTRECASTEAUX
Antoine, Raymond, Joseph de BRUNY
d’ ENTRECASTEAUX
( 1737- 1793 )
par Roger COGUIEC
« Rien que la mer, un peu de gloire »
( Amiral Maurice Dupont ).
Antoine, Raymond, Joseph de Bruni d’Entrecasteaux naît à Aix en Provence le 7 Novembre 1737. Il est le fils cadet d’un président du parlement de Provence. A la fin du XVIème siècle, sa famille habite dans le haut Var près de Lorgues. Raymond Bruny, le grand père de l’amiral, est anobli en 1713. L’année suivante, il achète au comte de Grignan, le marquisat d’Entrecasteaux.
Le château d'Entrecasteaux ( Var ) et la statue de l'amiral.
C'est là aussi que vécut, un siècle plus tôt, le marquis de Grignan, gendre de Mme de Sévigné.
Les vieilles familles provençales sont une pépinière de marins et d’Entrecasteaux ne faillira pas à la tradition. Elève des jésuites, excellent mathématicien, il est aussi le cousin du bailli de Suffren. D’Entrecasteaux est reçu "garde de la marine" (élève officier de la marine) à Toulon, le 4 juillet 1754 . Après dix longs mois d’études à terre, arrive le jour du départ en première campagne. Il embarque, le 28 avril 1755, sur la frégate « La Pomone » qui va l’amener jusqu’aux Antilles et à Cuba. Le 22 mai 1756, le garde d’Entrecasteaux change de navire pour la galère « La Duchesse » à Toulon. En avril 1757, il es sur la frégate « Minerve ». Le 17 avril 1758, il est nommé enseigne de vaisseau et embarque sur le « Brave », puis sur la frégate « La Gracieuse ». D’Entrecasteaux navigue ensuite sur « L’Ambitieuse » et, début 1760, il entre aux Canonniers de la Marine où il devient lieutenant d’Artillerie en second. Il vient d’avoir 25 ans. En mai 1767, il commande la frégate « La Pléiade » mais en juillet 1769, son premier commandement se termine par un naufrage au large de Porto-Vecchio. Il réussit à sauver tout son équipage par forte mer. Il est promu lieutenant de vaisseau le 1er février 1770 et repart sur « L’Atlante » puis sur « L’Alcmène », en 1776. Cette dernière est commandée par son cousin Suffren. De 1777 à 1780, il commande « La Mignonne », une frégate « mauvaise marcheuse », et devient capitaine de vaisseau en mars 1775. Cette période sera consacrée à la protection des navires marchands en Méditerranée et à la lutte contre les Anglais au profit des insurgents d’Amérique. Le 30 avril 1781, il prend le commandement d’un vaisseau de premier rang, « Le Majestueux » : 1200 marins et 110 canons. En 1783, d’Entrecasteaux commande le « Robuste ». La guerre dure depuis cinq ans. Il passe alors sur le « Puissant », avec lequel il rallie Toulon. L’accompagnent 15 vaisseaux, 13 frégates et 6 corvettes, tous doublés en cuivre. Après ces deux années de campagne, d’Entrecasteaux prend pendant quatre mois un repos bien mérité au château d’Entrecasteaux.
Le 2 août 1783, il est appelé à Paris « pour le service du Roi ». La marine de Louis XVI doit être améliorée et renforcée. Ce sera une des tâches de d’Entrecasteaux à Paris. Pendant ce temps, La Pérouse prépare en secret une grande expédition dans le Pacifique et d’Entrecasteaux participera à sa préparation. Le 19 mars 1785, il est à Brest. « La Résolution », son nouveau navire, est sur rade. Le Roi écrit « Sa Majesté attend que dans toutes les circonstances le sieur chevalier d’Entrecasteaux justifie l’opinion avantageuse qu’elle a de ses lumières de sa prudence et de sa fermeté ».
Huile sur toile de Nicolas-André Monsiau, 1817, Château de Versailles
Il va effectuer une nouvelle campagne, à contre-mousson, pour découvrir une nouvelle route de Chine et " pour favoriser le commerce". Il croise Jean-François de Galaup, comte de La Pérouse (1741-1788), entre Macao et Manille et il va jusqu’à Formose (Taïwan) et Canton. Après une traversée de 66 jours, la mission de d’Entrecasteaux doit en principe compléter celle de La Pérouse. Il revient à Pondichéry et il sera nommé Gouverneur des iles de France (Ile Maurice) et Bourbon (La Réunion) de novembre 1787 à novembre 1789, Pour situer un peu mieux la personnalité de d’Entrecasteaux, citons ce que le commandant du navire qui l’accompagnait dans cette campagne à contre-mousson écrivait 40 ans après : « Il joignait à infiniment d’esprit les plus vastes connaissances. Il était extrêmement religieux sans doute mais son genre de religion était ce qu’il devrait être chez tout le monde. Pieux mais sans ostentation, il ne gênait personne sur son bord. Le chevalier d’Entrecasteaux était sans contredit un des meilleurs officiers de la marine. Il en avait la réputation avant la campagne que j’ai faite sous ses ordres, et pendant cette campagne qui n’a ressemblé à aucune autre, je me suis convaincu par moi même de tout son mérite militaire, de toute l’étendue de ses connaissances, de son calme et de son sang froid dans les moments pénibles et dangereux et enfin d’une bravoure extrêmement remarquable. Il m’a donné toutes les marques d’amitié qu’un père bien tendre peut donner à son fils. »
Après cette longue campagne, il obtient un congé de plusieurs mois au cours desquels il a la joie de retrouver le château familial. En haute Provence, le bruit de l’agitation parisienne arrive un peu étouffé. De Toulon, parviennent les récits des désordres survenus dans l’arsenal et sur les navires du roi. En juin 1790, d’Entrecasteaux commande « Le Patriote », en Atlantique pour contenir les Anglais. Le 9 février 1791, un décret de la Constituante prie le roi « au nom de l’humanité des Arts et des Sciences de prescrire à tous ses ambassadeurs et représentants dans le monde de rechercher auprès des nations maritimes toute trace de l’expédition de La Pérouse. » Le 27 mai 1791, d’Entrecasteaux reçoit du ministre de la marine la lettre lui annonçant la grande décision : « Je vous annonce avec plaisir que le roi a bien voulu vous nommer commandant des deux bâtiments qui vont être armés pour aller à la recherche de monsieur de La Pérouse. » Il choisit Huon de Kermadec comme commandant du second navire. Ces navires vont loger 100 à 110 personnes, dont plusieurs savants, là où vivait un équipage de 70 hommes ; ils devront subir de nombreuses transformations alors que l’arsenal de Brest ne se hâte guère de transformer ces gabares. Le ministre de la Marine venu les visiter dira : « Je vois avec peine pour la Marine de France deux bâtiments comme ceux-ci qui aient une telle destination. Bien certainement, ils n’ont pas les qualités ni la grandeur nécessaire pour une telle campagne ». Ce seront les gabares rebaptisées frégates « La Recherche » et « L’Espérance ». Le but principal de l’expédition est de retrouver les navires de La Pérouse, « L’Astrolabe » et « La Boussole », disparus depuis leur départ de Botany Bay, le 10 mars 1788, ceci n’excluant pas les travaux concernant l’accroissement des connaissances humaines et des découvertes utiles. La tâche scientifique la plus importante est la détermination précise des coordonnées des lieux. Pour cela, il embarque un jeune ingénieur hydrographe, Beautemps-Beaupré. Les astronomes Ventenat, Bertrand et Pierson, le naturaliste La Billardière font partie de l'équipe de savants. D’Entrecasteaux est nommé contre-amiral.
Le 29 septembre 1791, « La Recherche » et « L’Espérance » appareillent de Brest. Le beau temps favorise l’expédition et les frégates se révèlent de bien médiocres voiliers, surtout « L’Espérance » qui est d’une lenteur incroyable. Fin décembre, ils arrivent à Capetown . Le 16 février 1792, D’Entrecasteaux décide de gagner le sud de la Nouvelle Hollande (l’Australie). Ils traversent les Quarantièmes Rugissants et tous leurs dangers. En mars 1792 ils arrivent à l'île Amsterdam* (aujourd'hui intégrée aux Terres australes et antarctiques françaises), où d'Entrecasteaux donnera son nom à un éperon rocheux de la côte occidentale. Le 21 avril, la Tasmanie est en vue.
Aquarelle d'André Lambert, extraite de Michel Perchoc :
"Marins français explorateurs" Ed. du Gerfaut 2007
La traversée a duré 65 jours ; « La Recherche » et « L’Espérance » mouillent dans une baie nommée par d’Entrecasteaux « Baie de la Recherche » et Beautemps-Beaupré imagine sur cette côte inexplorée de Tasmanie sa très ingénieuse méthode de cartographie destinée à devenir universelle. De là, ils vont remonter un large canal que d’Entrecasteaux va baptiser « le canal d’Entrecasteaux » et qui se situe entre la Tasmanie et une île qu'il nomme Bruny, puis ils se dirigent vers la Nouvelle-Calédonie. Ils arriveront en vue de l’île le 16 juin 1792 mais n’y débarqueront pas. En longeant péniblement la côte déchirée de Nouvelle-Calédonie jusqu’à la pointe nord de l’île, ils découvrent « les récifs d’Entrecasteaux ». Le navigateur devient vice amiral le 29 juin 1792.
Après d’importants relevés hydrographiques de ces régions inconnues comme l’ « archipel de l’Amirauté » - l'expédition fait route vers la Nouvelle-Guinée. Le 6 septembre 1792, elle arrive aux Moluques. Il était temps car le stock de vivres s’amenuisait. Les naturalistes de l’expédition peuvent travailler en observant la population. Ils se dirigent ensuite vers Timor. Ils vont mouiller, après deux semaines de gros temps au cours d’une infernale tempête où « La Recherche » et « L’Espérance » subiront des avaries dans la baie de l’Espérance et d’Entrecasteaux décide d’en faire l’hydrographie. Les côtes sont inhospitalières. Toujours pas de trace de La Pérouse et l’eau douce devient rare. Les deux navires repartent vers la Tasmanie.
En février 1793, ils font route vers la Nouvelle-Zélande et s’arrêtent à Tonga Tabou où les navigateurs font la connaissance de la population qui les reçoit bien, si bien que la reine Tinée offre ses demoiselles d’honneur aux officiers des navires...( heureuse époque !) Les deux frégates s’engagent ensuite vers les Nouvelles-Hébrides puis rencontrent une longue barrière de brisants et la carte s’enrichit des « îles Beautemps-Beaupré » . Le 18 avril 1793, les navires longent les récifs de la côte orientale de la Nouvelle-Calédonie vers le Havre de Balade où les deux navires parviennent à mouiller. Le commandant de « L’Espérance » meurt. Huon de Kermadec est enterré le 6 mars 1793 sur place, puis remplacé par Hesmivy d’Auribeau. Les marins découvrent une population agressive et surtout cannibale. L’expédition continue de frôler les traces de La Pérouse. Ils s’en approchent jusqu’au niveau de l’île de Vanikoro, que d’Entrecasteaux a appelée « île de la Recherche » et où Dumont d’Urville en 1828 trouvera les restes de l’expédition de La Pérouse. Le 19 mai 1793, des naufragés de La Pérouse vivaient encore dans l’île que d’Entrecasteaux venait de découvrir et où il n’avait pu aborder.
Aquarelle d'André Lambert, extraite de Michel Perchoc :
"Marins français explorateurs" Ed. du Gerfaut 2007
Puis l'expédition touche les îles Salomon, mais d’Entrecasteaux est atteint du scorbut et de dysenterie. Les mouillages sont rares. Son état s’aggrave. Le 8 juillet 1793, d’Entrecasteaux écrit « Lorsque nous sommes parvenus à l’extrémité septentrionale de la Nouvelle-Bretagne, je me décidais à faire route au N.O pour me rendre à l’île de Java où il devenait de jour en jour plus pressant d’arriver. Le vin qui nous restait à bord s’était aigri, nos farines étaient échauffées et nous commencions à être dépourvus de toute espèce de provisions. La santé des équipages, épuisés par les fatigues d’une navigation longue et pénible, exigeait que nous puissions relâcher dans un pays qui nous offrit d’assez grandes ressources pour réparer leurs forces et nous réapprovisionner de nouveau. » Ce sont les dernières lignes de son journal. Le 20 juillet, à 7 heures du soir, d’Entrecasteaux meurt. Hesmivy d’Auribeau devient chef de mission. Le lendemain, son cercueil est immergé après que deux aumôniers aient récité la prière des morts, que 13 coups de canons et 3 décharges de mousqueterie aient retenti. Les frégates se dirigent vers la Nouvelle Guinée puis vers Surabaya où elles arrivent en octobre 1793. Elles seront saisies par les Hollandais, alors en guerre contre la France.
L’œuvre de d’Entrecasteaux demeure méconnue du fait des événements nationaux d’alors. Depuis 1789, c’est la Révolution en France, mais en mer, en campagne lointaine, comme beaucoup de marins, même nobles, d’Entrecasteaux n’a pas été inquiété, cependant son œuvre géographique et ethnographique perdure. Avec la collaboration de l’ingénieur Beautemps-Beaupré, le père de l’hydrographie moderne, il fut un grand explorateur et l’océan Pacifique fourmille des découvertes de d’Entrecasteaux auxquelles il a attribué le nom de ses navires et de ses collaborateurs. Le nom de ce magnifique marin explorateur sera porté par quatre bâtiments de la Marine : un aviso à hélices (1856), un croiseur (1894), un aviso colonial (1930) et un navire hydrographique (1971)2.
EN SAVOIR PLUS
Article original : La mer en livres.
* Île d'Amsterdam :
Voir aussi la carte IGN.
La Pointe d'Entrecasteaux :
Pointe d'Entrecasteaux © Isabelle Jouvie.
Entrecasteaux, le mythe
Les falaises d’Entrecasteaux, situées au Sud-Ouest de l’île, se sont formées suite à l’effondrement de tout un flanc du volcan le long de deux grandes failles. Elles abritent aujourd’hui des colonies de dizaines de milliers d’oiseaux : les albatros à bec jaune, les albatros fuligineux à dos sombre, et les gorfous sauteurs. Ces derniers sont les seuls représentants des manchots à Ams.
Aller à Entrecasteaux quand on hiverne sur l’île d’Amsterdam, c’est un peu LA manip que tout le monde veut faire, et ce pour plusieurs raisons :
Le cadre majestueux du site, au pied de plus de 700 mètres de falaises verdoyantes et avec sa cathédrale de basalte,
Les oiseaux, des centaines, des milliers, des dizaines de milliers qui volent en continu au dessus de vos têtes en été (là c’était l’hiver alors il n’y en avait quasiment pas),
L’accès restreint, la zone est protégée et réservée à la recherche, avec un nombre d’accès limité chaque année et accordés seulement aux VSC ornithos et à l’agent de la réserve naturelle « flore et habitat », aucune manip loisir n’y est autorisée,
Le transit, le plus exotique du coin avec ses mains courantes et sa via ferrata qui permet de descendre dans la falaise,
Les manips ornitho, Entrecasteaux étant le seul lieu où l’on peut approcher les becs jaunes, les fuligineux et les gorfous, soit trois des cinq espèces principales étudiées ici (avec les otaries et les albatros d’Amsterdam).
Pour les curieux voir le blog d'Isabelle pour de superbes photos d'Ams.
Le massacre des vaches d'Amsterdam
Taureaux de l'île Amsterdam, 2003 © François Colas
Depuis 140 ans, une population de vaches et de taureaux vivait paisiblement sur l'île, en totale autonomie. Ces bovidés sauvages au patrimoine génétique et biologique exceptionnel du fait de leur isolement géographique extrême ont été totalement exterminés en 2010 sur demande des scientifiques et donc par décision de Monsieur Rollon Mouchel-Blaisot, préfet administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (il a d'ailleurs été fait Chevalier de l'ordre national du mérite).
Pour la diversité biologique, quelques bêtes auraient pu être parquées, pour éviter qu'elle ne pâture la flore endémique.
- Eradication des bovins de l’île d’Amsterdam, un non-sens (Grégoire Leroy Maître de conférences, Mathieu Gautier Chargé de recherche, INRA, UMR Génétique Animale et Biologie Intégrative, Bernard Denis, Professeur émérite, Jean Emmanuel Eglin Président de ProNaturA France, Michel Naves Ingénieur de recherche zootechniques INRA, Stéphane Patin, 2010 - 3 p) - pdf
- Article publié par les biodiversitaires.
Par contre, chats, rats et souris amenés par l'homme se reproduisent toujours. Il est également à déplorer la destruction par l'homme des 1500 ha de forêt de Phylica arborea. La conscience collective à heureusement permis ici, à partir de graines prises dans quelques sujets résiduels, à replanter une zone de 10 ha soit 0,2 % de la surface de l'île.
Autres ressources :
- Plan national d’actions pour l’albatros d’Amsterdam (Ministère de l'écologie - 84 p) - pdf
- La flore et la faune des îles Saint-Paul et Amsterdam (E. Aubert de la Rue, 1931 - 21 p) - pdf
- La pêche aux ils saint-Paul et Amsterdam (Patrice Pruvost, Guy Duhamel, Frederic Le Manach, Maria Palomares, 2015 - 14 p) - pdf